Transformer des déblais du GPE en béton bas carbone

Comment faire du béton bas carbone avec des terres de chantier ?

[Grand Paris Expériences] Comment faire du béton bas carbone avec des terres de chantier ? La réponse à cette question se trouve à Douai, dans le Nord, où des chercheurs sont parvenus à remplacer une partie du ciment, principale cause des émissions de CO2 du béton, par des argiles à meulière provenant de la ligne 18.

La construction du Grand Paris Express va générer environ 4,4 millions de tonnes de CO2 et l’utilisation du béton est aujourd’hui la principale source d’émissions de gaz à effet de serre. Forte de ses engagements environnementaux en phase travaux, la Société du Grand Paris travaille sur plusieurs pistes innovantes pour utiliser ses déblais dans la composition de béton bas carbone qui pourront alimenter certains chantiers du Grand Paris Express ou d’autres chantiers franciliens.

C’est ainsi que des terres issues des chantiers de la ligne 18 ont fait l'objet d'une cuisson rapide - elles sont "flash calcinées" - pour entrer dans la conception du béton bas carbone, remplaçant ainsi partiellement le ciment classique. Une solution de réemploi vertueuse et faiblement consommatrice d’énergie adaptée à ces terres par les équipes de recherche de l'Institut des Mines Telecom Nord Europe (IMT NE), organisme de recherche et école d'ingénieur à Douai.¹ Le Dr Mouhamadou Amar, enseignant-chercheur à l’IMT NE a été le responsable technique et le pilote du projet.

Transformer des déblais du GPE en béton bas carbone

Le bilan carbone du béton est-il vraiment mauvais ? 

Entre 6 et 10 milliards de tonnes de béton sont produites annuellement dans le monde, une production fortement émettrice de gaz à effet de serre (selon le Global Cement and Concrete Association, ce sont 14 milliards de m3 produits en 2020 soit 35 milliards de tonnes). En cause, le ciment, qui entre dans sa composition, et qui est, à lui seul, à l’origine d’environ 94 % des émissions de CO2 du béton. Et plus particulièrement, le clinker, principal constituant du ciment, dont la cuisson à très haute température (environ 1 450°C) durant plusieurs heures génère de grandes quantités de CO2. Une tonne de clinker émet environ 765 kg de CO2... Soit autant qu’un trajet de 3 516 kilomètres en voiture !

Pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone, l’industrie du bâtiment et des travaux publics est à la recherche de solutions pour réduire l’impact carbone de la production de ciment ou pour remplacer une partie de cette production par des matières recyclées bas carbone.

« La valorisation des matières minérales, terres excavées, argiles et sédiments se positionne comme une solution pertinente pour réduire l’empreinte carbone de la construction et des travaux publics. Cela va exiger une certaine technicité et une véritable expertise pour améliorer les performances de ces matériaux. Pour atteindre ces objectifs, il existe plusieurs techniques innovantes comme la flash calcination, basée sur une faible consommation d’énergie. »

Mouhamadou Amar
enseignant-chercheur

Pourquoi la flash calcination réalisée à partir d’argiles de la ligne 18 est une bonne nouvelle écologique ? 

La flash calcination est une technique de transformation par cuisson très rapide qui permet de donner une seconde vie à des matériaux qui sont considérés comme des déchets (du point de vue de la réglementation) et de leur conférer de la valeur. Ces terres excavées passent ainsi du statut de déchet au statut d’addition minérale en améliorant leurs propriétés via la flash calcination. Pour le Dr Mouhamadou Amar, « les propriétés des matériaux activés via ce processus sont réellement modifiées ce qui permet de les intégrer à la fabrication du béton bas carbone. En outre, la flash calcination a la particularité d’être extrêmement rapide ce qui permet d’obtenir un gain énergétique de l’ordre de – 80 % par rapport au procédé de fabrication classique et, par conséquent, d’être moins émissive. »

Le procédé de flash calcination a un faible impact environnemental et énergétique tout en assurant l’activation de l’argile. Cette expérimentation, aux résultats désormais validés, est d’autant plus prometteuse que la Société du Grand Paris la met à disposition de tous les acteurs de la filière

Transformer des déblais du GPE en béton bas carbone

Quelles ont été les différentes étapes du projet ?

La première phase du projet portait sur une sélection de terres de chantier du Grand Paris Express afin d’identifier celles qui étaient les plus à même d’être activées via flash calcination. L’équipe de recherche a testé les argiles à meulière, le sable de Beauchamp, le calcaire grossier et le remblai. Ce sont les argiles à meulières qui ont été finalement retenues. Ce choix tient compte des propriétés physico-chimiques et minéralogiques, mais aussi du volume disponible pour chaque gisement afin que la contribution à l’économie circulaire soit la plus importante possible. « C’est l’intégration de tous ces paramètres qui a permis à la Société du Grand Paris de choisir le matériau sur lequel devait porter l’expérimentation », explique le Dr Mouhamadou Amar. 

Dans la deuxième phase du projet, il s’agissait de flash calciner l’argile et de formuler avec lui plusieurs types de béton destinés à la réalisation de parois moulées, des éléments structures (poutres, des poteaux, des dalles...), des voussoirs et des bétons de rechargement. Chacune de ces applications dispose d’un cahier des charges bien spécifique. « L’utilisation de cette technique de cuisson rapide est une innovation majeure parce qu’elle permet d’améliorer réellement les propriétés de ces matériaux, afin de les utiliser pour produire des bétons bas carbone avec une performance équivalente à un béton produit avec du ciment traditionnel », précise le Dr Mouhamadou Amar. 

Transformer des déblais du GPE en béton bas carbone
Transformer des déblais du GPE en béton bas carbone

Dans la troisième phase du projet, chaque formulation a été soumise à de nombreux tests de résistance mécanique, environnementaux et de durabilité accélérée pour ne retenir in fine que les formulations les plus optimales. L’équipe du laboratoire de recherche a pu ainsi démontrer qu’il était possible de formuler des bétons jusqu’à 40 % moins émissifs en CO2 à partir de terres de chantier du Grand Paris Express. « C’est la bi-addition de déblais flash calcinés et de laitier de haut fourneau qui s’est montrée la plus pertinente pour atteindre le niveau de performance requis et utiliser moins de ciment, souligne le Dr Amar. C’est un choix technique réfléchi, car dans un béton, c’est le ciment qui coûte le plus cher et qui a le plus fort impact environnemental. Ainsi, ce type d’approche permet donc d’atteindre un certain équilibre vis-à-vis des filières et produits existants. »

D’autres pistes sont-elles explorées pour proposer un béton bas carbone ? 

La Société du Grand Paris expérimente actuellement une autre méthode de transformation de ses déblais en béton bas carbone : l’éco-production d’éléments préfabriqués en béton intégrant 10 % de sables de Beauchamp, provenant de chantiers de la ligne 16.

[1] "Les travaux de l'expérimentation ont été effectués au sein des labos de l'IMT Nord Europe sous la direction scientifique du Pr. Nor-edine Abriak et du Pr. Mahfoud Benzerzour". Le projet a été porte par la chaire ECOSED.
[2]https://www.infociments.fr/sites/default/files/articles/pdf/2023_02_08_DEP_SFIC_CEM%20I_v2.pdf